Journal de bord de l'Harmattan
Lundi 13 Avril 2020 Ă  15h00 TU, 17h en France - A Port Saint Louis du RhĂ´ne
N° 1264 - Des manques en excès

Bonjour Ă  tous,

Ce soir notre Président va s’exprimer, mais le suspense n’est pas d’une grande intensité, nous avons tous conscience d’être partis pour rester confinés. Je suis arrivé à mon bateau le 11 Mars, cela fait maintenant plus d’un mois que je suis isolé et que je ne vois personne. Heureusement j’ai l’habitude. Un mois c’est la durée maximum des longues traversées transocéanique avec Harmattan mais parfois j’ai seulement touché terre pour faire de l’avitaillement et je suis reparti immédiatement. Cela m’est ainsi arrivé de naviguer deux mois et demi sans retrouver ceux que j’aime, il y a encore de la marge !

Un mois c’est souvent le moment où je commence à ressentir un excès de manque. Mais avant d’évoquer ce sujet je voulais vous parler des antonymes (excès de manque), c’est Francis Cabrel qui m’a fait découvrir toute l’imagerie que provoque leur mariage (Partis pour rester). J’adore ce poète chanteur. Il met en moyenne 7 ans à sortir un album mais lorsqu’on écoute avec attention ses textes, ou encore mieux, lorsqu’on les lit, c’est de la pure dentelle. Dieu que c’est beau !

Mais revenons-en aux manques. Dans la vie de tous les jours et depuis la nuit des temps, ce sont les manques qui nous font agir et qui guident nos actes et nos décisions. L’homme de Cro-Magnon partait chasser car la tribu avait faim. Très souvent le manque nous incite à agir et cette sensation désagréable est très vite effacée par le résultat de notre action. Le fait d’empêcher la satisfaction du manque est une punition sévère, c’est le principe même de la prison.

Avec le confinement nous sommes en plein dans le sujet. Lorsque cela ne dure pas trop longtemps le manque peut être agréable, il exacerbe ainsi notre désir de le combler. Alors, au moment où le confinement va cesser, nous éprouverons un plaisir immense à retrouver notre liberté d’assouvir nos désirs, de satisfaire ces besoins que nous ressentons actuellement.

J’ai envie d’un bon restaurant à Paris avec mon épouse, j’ai envie d’un weekend à Honfleur ou bien à Etretat, j’ai envie d’une réunion de famille avec mes enfants et mes petits enfants autour d’un barbecue ou d’un gigot de sept heures, j’ai envie d’une grande ballade en moto car à Paris c’est l’été …

J’ai également envie de plaisirs beaucoup plus simples, j’ai envie de fraises au sucre à chaque repas mais elles ne se gardent pas et du coup je n’en goute qu’une fois tous les quinze jours. J’ai envie de boire une coupe de champagne mais pas seul, j’ai envie d’une sole meunière, j’ai envie de réaliser de bons petits plats à déguster à plusieurs, j’ai envie d’aller au cinéma, j’ai envie de ma maison et de mon jardin avec les beaux jours qui arrivent …

La différence par rapport à mes ballades solitaires habituelles c’est que d’habitude je sais à quelques jours près quand cela va finir. Mais là, nous n’avons aucune idée du moment où la clef va tourner dans la serrure permettant à la grille de s’ouvrir et ainsi de nous libérer.

Il va falloir attendre encore. Quelques semaines de plus ne me gênent pas surtout que je sais bien que c’est indispensable. Mais j’aimerai beaucoup que l’étau se desserre un peu pour le mois de juin afin de pouvoir profiter des longues journées qui vont avec. Au début j’avais pensé que nous resterions confinés 45 jours mais vu l’évolution de l’épidémie et en regardant ce qui s’est passé en Chine il faut plutôt compter 75 jours, deux mois et demi, cela nous mène effectivement début juin.

En attendant le monde continue de tourner, l’agneau Pascal continue de brouter dans les prés en bénissant le virus et je continue de travailler sur mes réservoirs, je fais aller la scie sauteuse à longueur de journée. Je n’ose pas compter les heures passées, ce sont des œuvres d’art ces réservoirs.

A bientĂ´t
Jean-Louis
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