Journal de bord de l'Harmattan
Thu, 22 Mar 2012 19:00:00 - 15° 47’W 5° 19’N
N° 475 - Immobile



20H00 en France, 19H00 heure du bord

Bonjour Ă  tous,

Il est 14 heures, tout est immobile, tout est figé, écrasé par une
chaleur insoutenable. MĂŞme les orages, mĂŞme les dragons qui
soulevaient régulièrement le bateau ont mis les pouces.

La mer est absolument plate, il n’y a plus d’air, plus rien ne bouge,
plus rien ne claque, plus rien ne frappe, plus rien ne grince, tout
est endormie, comme pétrifié par cette chape de plomb.

Moi je dégouline de transpiration, je ne suis bien qu’allongé à
l’intérieur du bateau en train de comater. Même à l’ombre de la
capote, dans le cockpit, c’est intenable. Le doux ronronnement du
moteur incite à s’endormir, les mouvements du bateau sont
imperceptibles, seul le speedomètre permet de savoir que nous avançons
à 3.4 Nœuds, 3.4 minutes de latitude nord engrangées toutes les heures
qui me permettent de penser que je finirais par voir la fin de ce pot
au noir.

Que cette balade est agréable, cela faisait longtemps que je ne
m’étais pas fait autant plaisir. Après ce parcourt difficile le long
des côtes Sud Africaine, quelle récompense. Ma petite vie est
maintenant bien organisée et ce voyage pourrait continuer longtemps
sans que cela ne me pèse.

Après une heure de sieste les choses n’ont pas beaucoup changé. La mer
est maintenant absolument lisse comme une plaque d’acier légèrement
ondulée, marquant ainsi une absence totale du moindre mouvement d’air.
Je viens de passer les cinq degrés Nord et je pense qu’il va falloir
encore attendre un ou deux degrés avant qu’un souffle d’air
significatif ne reprenne. Peut ĂŞtre demain pourrais-je Ă  nouveau faire
route sous voile avec un léger vent d’ouest.

Vers 17h tout devient laiteux, brumeux, il est presque impossible de
distinguer la ligne oĂą le ciel rejoint la mer tellement tout se
ressemble, j’ai l’impression d’être seul au monde, seul dans un monde
où tout est immobile, un monde où tout s’est arrêté. Quel sentiment
étrange, c’est la solitude totale.

Depuis mon départ de Cape Town, je n’ai vu qu’un seul bateau, aucun
dauphin, aucune baleine, seulement quelques oiseaux. Je n’imaginais
pas l’Atlantique Sud aussi désert.

Mon thermomètre de coque affiche maintenant une température d’eau de
mer à 36 degrés ! Je n’ai jamais vu cela, c’est incroyable. Bientôt
mon déssalinisateur va remplacer mon chauffe eau. Heureusement que je
suis en mer, la nuit il fait suffisamment frais pour arriver Ă  dormir.
Mais à cette latitude, à l’intérieur des terres, au Libéria, en Côte
d’Ivoire, au Ghana, au Togo, au Benin, au Nigéria ou au Cameroun cela
doit ĂŞtre intenable.

Dans trois jours je serais au sud de l’archipel des Bijagos et je
pourrais alors partir tribord amure au près pour l’île de Santiago au
Cap vert. Cette route ne sera pas une partie de plaisir car il va
falloir remonter la mer et le vent pendant 500 Miles. Les alizés
normalement de Nord est soufflent actuellement plein nord entre force
4 et force 5.
Voilà pour aujourd’hui, 89 Miles au compteur ce soir, ce n’est pas si
mal car j’ai mis très peu de gaz.

A bientĂ´t.

Jean Louis
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