Journal de bord de l'Harmattan
Wed, 23 Feb 2011 13:30:00 - 82° 05’E 12° 54’N
N° 297 - Evacuation sanitaire en haute mer

14H30 en France, 19 heures heure du bord,

Bonjour Ă  tous,

Il est 19h15 hier soir, je monte dans le cockpit nos deux assiettes avec pommes de terres à l’huile et escargots de Bourgogne sous le cri d’admiration de Jacky quand la VHF crépite. Ce sont nos Coast Guard qui arrivent en vue du bateau. Ils sont à 8 miles et seront là dans 10 minutes environ. Ils ont une heure d’avance et nous aurions préféré qu’ils nous laissent déguster ensemble ce merveilleux repas. Il faut maintenant avaler à toute vitesse car ce qui est pris est pris.

Ils nous ordonnent maintenant de stopper Harmattan et de baisser toutes les voiles. La mer qui était plate jusqu’à présent a commencée à se former depuis quelques heures et le bateau danse violemment dans tous les sens, c’est très inconfortable.

Le navire de « Rescue » est une frégate rapide de 130 mètres de long ! Je n’en reviens pas, tout cela pour mon Jacky. C’est vraiment quelqu’un de très important. Dommage, il fait nuit, je ne la voie pas bien et les photos que j’ai tenté sont inexploitables. Ils mettent une chaloupe à la mer, en fait c’est plus exactement un très gros semi rigide et ils arrivent à 7 sur Harmattan.

L’accostage est très délicat car la mer est devenue assez formée. J’ai mis des pare battages sur tribord et je leur demande donc de se présenter sur « starboard ». Nous attrapons les amarres, et je récupère tant bien que mal les hommes qui un a un essayent de monter à bord. C’est impressionnant, leur bateau est par moment très bas par rapport à nous, par moment au dessus de nous et par moment jeté violement contre Harmattan. Deux « sauveurs » sont restés dans le canot, l’un d’entre eux ne tarde pas à avoir le mal de mer et à vomir à répétition en poussant des cris effroyables.

Pendant ce temps, le docteur s’est déjà installé dans le carré et il examine Jacky pendant que je suis moi-même interviewé dans le cockpit. Je ne sais pas si c’est un journaliste mais il se comporte de la même façon, il me pose plein de questions sur mon voyage, sait que je suis dialysé et prends plein de photos. Nous comprenons assez rapidement qu’ils veulent emmener Jacky mais ce qui les gènes c’est de me laisser seul à bord sans assistance. Nous devons leur répéter de nombreuses fois qu’il n’y a aucun problème, que j’ai l’habitude de voyager seul sur mon bateau, ils ont du mal à l’entendre et reposent sans cesse la question.

Ils sont en liaison permanent avec leur commandant resté sur la frégate et finalement prennent la décision de rédiger une lettre qu’ils me font signer pour les dégager de toutes responsabilités. Ils finissent par repartir en emmenant mon copain Jacky, l’embarquement est très délicat. Ca y est, je me retrouve seul à bord, il est 21 heures.

Je dois maintenant rétablir dare-dare la voilure pour stabiliser le bateau puis le remettre en ordre. C’est du boulot et lorsque j’ai fini j’ai pris une bonne suée mais je suis content d’être à nouveau en marche. La VHF crépite, ils me demandent mon « ETA », mon « Estimated Time of Arrival ». Jeudi soir ou vendredi matin. Ouf, cela va enfin s’arrêter, depuis 24 heures le téléphone satellite sonne en permanence et parfois pendant que l’un d’entre eux me parle au téléphone un autre essaye de me contacter par VHF. C’est usant.

Je me retrouve seul à bord et je me délecte de cette tranquillité retrouvée. Que c’est bon. Jacky est entre de bonnes mains et moi je peux reprendre ma vie de coureur d’océan solitaire. J’aime vraiment cela. Seul avec mon bateau c’est vraiment ce qui me va le mieux. J’adore naviguer avec Jacky, nous avons navigués tellement souvent ensemble, nous nous connaissons parfaitement et nous entendons si bien mais naviguer à deux provoque quand même des contraintes. C’est comme lorsque l’on reçoit de très bons amis, si ils sont à la maison depuis un mois, on est content lorsqu’ils repartent de retrouver son train-train quotidien. Par exemple si le soir je n’ai envie de dîner que d’une pomme, si Jacky est là nous allons faire un vrai repas.

Ce qui va être dur pour Jacky, ce sont les repas justement. La cuisine Indienne est très particulière, très épicée et on a du mal à apprécier. En plus pas de bière, pas de vin et de l’eau chaude. Jacky comme moi, si nous devons boire de l’eau, il faut quelle soit fraîche. Dans un restaurant, un serveur nous apporte une bouteille d’eau « à boire » qui doit être dans les 35 degrés. Jacky l’attrape vivement et dit « May i have fraîche water ? », le serveur le regarde, un peu outré et réponds « It is fresh water, Sir ». S’en suit un échange de mot un peu rude avant que le serveur comprenne et dise « You want chill water, Sir ». En effet « fresh water » c’est de l’eau douce en opposition à « sea water », l’eau de mer. Maintenant Jacky a le bon mot, reste à savoir si à l’hôpital ils auront l’eau qui correspond au mot.

La règlementation sur l’alcool en Inde est extrêmement stricte. Comme je l’ai déjà précisé, rare sont les restaurant où l’on peut commander autre chose que de l’eau à température ambiante. Aux îles Andaman, on ne pouvait acheter de l’alcool, bière, vin, spiritueux, que dans un endroit de la ville, une sorte de blockhaus avec une fenêtre munie de barreaux, genre l’armurerie à la caserne. Ce n’est pas ouvert tous les jours et fermé un grand nombre de jours « sensibles » (veille de fête). Le préposé sert à travers les barreaux une foule qui se presse et se bouscule pour avoir « sa dose », souvent un flacon d’alcool fort. On repart ensuite en cachant son flacon dans un tissu comme au temps de la prohibition.

18h30, le téléphone satellite sonne, c’est enfin Jacky. Il me raconte son périple. Arrivé sur le navire des Coast Guard il est accueilli par le pacha. C’est un très grand bateau, 100 hommes d’équipage, de nombreux officiers. Il est conduit immédiatement à « l’infirmerie », en fait un vrai bloc opératoire. Piqures, perfusion, trois flacons d’antibiotique, il se réveil ce matin beaucoup plus en forme, l’état de sa jambe s’est déjà énormément améliorée. Ce matin petit déjeuner café et toast et ce midi riz et poulet, c’est très acceptable.

A l’arrivé au port vers 13h30, il y a un comité d’accueil. Police, immigration … le grand jeu. Une ambulance l’attend et roule pendant une heure toutes sirènes hurlantes (ils adorent cela ici) pour l’emmener à l’hôpital RAMACHANDRA à Madras où une jolie infirmière (me dit- il) l’attend avec un fauteuil roulant. Il est aux urgences et c’est maintenant un défilé de médecins, à chacun il doit raconter son histoire complète.

Nous sommes confiants et pensons qu’il ne pourrait rester hospitalisé que quelques jours. Nous pourrions alors poursuivre ensemble jusqu’au Sri Lanka.

La nuit dernière et aujourd’hui beaucoup de vent et la mer qui va avec. J’ai parcourut 127 miles, du coup je ne suis plus qu’à 100 miles tout rond de Madras où j’espère arriver demain en début d’après midi.

A bientĂ´t

Jean Louis


"Super! Content que tout se soit bien passé. J'espère que Jacky pourra rejoindre l'Harmattan et reprendre la route. Amitiés Paparazzi."

Envoyé par Paparazzi le 23-02-2011 à 23:49



"Je me demande quel est le cout d'une telle evacuation?"

Envoyé par romi le 24-02-2011 à 15:54



"bonjour jean louis
impressionnant et rassurant cette chaine de secours.Bon vous voila de retour en solitaire,mais jacky qui est un solide gaillard va etre vite remis d'aplomb et pourra rapidement rejoindre le bord.bonne continuation et bon vent
noel"


Envoyé par morin le 24-02-2011 à 18:23

Sommaire
Commentaire
Précédent
Suivant