Journal de bord de l'Harmattan
Wed, 01 Sep 2010 09:00:00 - 148°10 E 11°57 S
N° 194 - Le cauchemar



11H00 H en France, 19 heures heure du bord,

Bonjour Ă  tous,

C’est un peu après mes trente ans, famille fondée, maison construite et carrière professionnelle bien engagée, que j’ai commencé à m’intéresser aux voiliers habitables, à la croisière en famille. C’est en juillet 1984 que j’ai loué pour trois semaines à Rhodes, en Grèce, un 36 pieds pour aller découvrir les côtes sud de la Turquie avec ma femme et mes trois jeunes enfants.

C’est à cette même époque que j’ai commencé à dévorer tous ce qui avait été écrit sur les voyages en bateau et en particulier sur les quelques premiers tours du monde. Le GPS n’avait pas encore été inventé et les quelques circumnavigateurs décrivaient l’approche et surtout le passage du détroit de Torres comme la partie la plus difficile de leur tour du monde, un véritable cauchemar.

Afin de vous faire mieux comprendre la difficulté je vais essayer de vous d’écrire l’endroit. Le détroit par lui-même, sépare la Papouasie de l’Australie, sa largeur est de 83 milles. Seulement la Grande Barrière de Corail qui longe toute la côte Est de l’Australie se prolonge jusque sur la côte de la Papouasie, encombrant le détroit de milliers d’îles et de récifs plus ou moins émergeants. Il y a quelques dizaines de milliers d’années lorsque la mer était un peu plus basse, le papa Papou pouvait aller chasser en Australie sans se mouiller les pieds.

Aujourd’hui il existe un labyrinthe qui permet de passer de la mer de Corail à la mer d’Arafura. L’entré de celui-ci en venant de l’est se situe tout près des côtes de Papouasie, au nord est du détroit. C’est la « Bligh entrance ». Avant cette entrée il faut éviter quelques récifs mais l’entrée est marquée par un feu sur « Bramble Cay », visible à 11 milles. Ensuite je vais devoir emprunter le « Great North East Channel » qui slalome entre les récifs mais où des feux brillent permettant de se guider. Ce parcourt depuis « Bramble Cay » fait environ 85 milles. Ensuite, barre à droite toute, j’emprunte « Vigilant Channel » sur une quinzaine de milles puis barre à gauche toute et je fais un grand arc de cercle de 30 milles environ pour attraper l’entrée est de « Prince of Wales Channel » qui passe entre « Hammond Islande » et « North West Reef ». C’est l’endroit le plus étroit, il me mène 26 milles plus à l’Ouest à l’île de « Bobby Island » qui est la sortie du détroit dans la mer d’Arafura.

Cela représente avec les secteurs d’entré et de sortie environ 200 milles où il ne va pas falloir roupiller car l’attention doit être à 100%. Il y a cette route sinueuse, bordée de multiples récifs, mais également tous ces bateaux de toutes tailles, avec des vitesses différentes qui circulent dans les deux sens. Ici pas question de mettre une zone de garde et d’aller dormir.

Bon, si vraiment je ne pouvais pas faire autrement, je pourrais toujours mouiller à l’abri d’un îlot bien que cela soit interdit et très mal vu des autorités Australiennes. Le problème pour le navigateur solitaire est l’extrême longueur de cette difficulté qui demande une concentration extrême pendant un très long moment avec une veille permanente.

Pour bien faire il aurait fallu que j’arrive à la « Bligh Entrance » en début de nuit car les grosses difficultés se situent surtout dans la deuxième partie du parcours. Malheureusement je crois qu’au contraire je vais y arriver au petit matin. Heureusement, de nos jours le GPS permet d’aborder confiant ce passage.

Pour l’instant tout va bien à bord, j’ai l’impression que ce matin il y avait un peu moins de mer mais c’est remonté dans la matinée. Le vent se maintien autour de 30 nœuds avec des pointes jusqu’à 45 nœuds sous les orages, le bateau est parfaitement réglé et la moyenne est bonne. Comme j’aimerai avoir ce temps pour traverser l’Indien, la vie à bord est un peu difficile mais quelle satisfaction le soir quand on regarde le compteur journalier.

J’ai encore peu dormi cette nuit, les grains étaient nombreux. La vie du solitaire pendant les longues traversées est totalement déréglée par rapport à notre vie ordinaire. Parfois je fais une sieste le matin, une autre en début d’après midi, une autre en fin d’après midi. En fait on dort quand on peut et tout va bien comme cela.

Mon copain l’oiseau est toujours là, il s’amuse à faire du sur place entre le génois et la grand voile. Cet après midi il a essayé de se poser sur la capote mais avec 30 nœuds de vent il n’est pas resté bien longtemps.

Je suis ce soir à 220 milles de la « Bligh Entrance » et le compteur journalier affiche 153 milles. Déjà un mois que je suis parti de Tahiti, c’est long et en même temps c’est passé très vite.

Ah, je vous rassure, ce matin c’était grand carénage pour le capitaine et même taille des ongles de mains et de pieds ! On ne sait jamais, des fois que j’atterrisse sur une île et que je puisse participer à une danse Papou.

A demain.

Jean Louis
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