Journal de bord de l'Harmattan
Mon, 28 May 2012 19:00:00 - 24° 59’W 16° 53’N
N° 496 - A JosĂ©, Ă  mon ami

22H00 en France, 19H00 heure du bord

Bonjour Ă  tous,

Quelle triste journée, quel mauvais film !

Lorsque l’on voyage autour du monde en bateau, on fait des rencontres merveilleuses. Il y a finalement peu de bateau et comme la route est à peu près la même pour tout le monde, on se croise et se recroise au fil des escales et en quelques heures, une véritable amitié peut se nouer.

C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de navigateurs solitaires.
Pour faire un tour du monde en solitaire il faut avoir au sens propre des mots une personnalité hors du commun et c’est toujours passionnant de côtoyer et d’échanger avec ces voyageurs.

C’était le cas de José, rappeler vous, je vous ai déjà parlé de lui.
Je l’ai rencontré à Cape Town, c’était un garçon étonnant. Retraité de la marine où il a fait plusieurs fois le tour du monde en tant qu’infirmier militaire, il a tout de suite compris l’énorme challenge que représentait l’aventure d’un tour du monde en étant dialysé. Nous avons sympathisé immédiatement.

Pour sa part, il s’était fixé un challenge qui malheureusement l’a dépassé. Il voulait faire le tour du monde en solitaire sans escale.
Il possédait un magnifique bateau en aluminium et l’avais préparé avec beaucoup de soin. Il espérait ainsi n’avoir aucun problème, pensant que partir avec un bateau neuf lui garantissait un tour du monde sans soucis.

Il est donc parti de Toulon fin 2010. Il a descendu tout l’Atlantique sans problèmes mais en arrivant au cap de Bonne Espérance, un très violent coup de vent a endommagé le régulateur de son éolienne, faisant monter la tension d’une façon telle que toute son électronique s’est trouvée hors d’usage. Dans la nuit son bateau a été porté à la côte et s’est échoué au pied du fameux cap des tempêtes. Il a eu beaucoup de chance car il avait toutes les chances d’être drossé contre les rochers et d’y perdre la vie mais c’est sur une plage de sable qu’il a atterri.

Son bateau étant très abimé, il est resté un an à Cape Town afin de le faire remettre en état. Il en a profité pour se marier avec sa compagne restée en France. Lorsque je l’ai rencontré, il était très déprimé car ne parlant pas un mot d’anglais il avait énormément de mal à communiquer avec les artisans mais également dans la vie au quotidien.

Lorsque j’ai quitté Cape Town, il avait encore quelques problèmes de pilote automatique et attendait les dépanneurs. Nous avons déjeuné ensemble puis il a largué mes amarres. Pour lui, le projet initial était abandonné, il n’avait plus confiance en son bateau et voulais rentrer à Toulon sans faire escale.

Je suis parti un dimanche après midi et lui le vendredi suivant. Comme j’ai effectué un stop de cinq jours à Saint Hélène, nous faisons donc la course et communiquons par mail tous les jours ou tous les deux jours. Il a un routeur qui le fait passer très à l’Ouest des îles du Cap Vert. J’arrive donc à Mindelo le trois avril alors qu’il est encore en plein milieu de l’Atlantique.

Le 12 avril, il m’annonce qu’il va falloir qu’il fasse un stop à Mindelo, son bateau est en train de couler, il doit pomper toutes les heures. Une soudure a lâchée. Il ne connaît pas Mindelo et n’a pas de carte car cette escale n’était pas prévue. Nous échangeons plusieurs fois par jour et j’essaie de le préparer au mieux pour son arrivée dans ce port. Il fini par s’amarrer le 16 et fait rapidement sortir son bateau. Il est confiant et le 23 Avril il m’envoie ce mail :

“Bonjour Louis
Je viens de recevoir avec ton mail un message du patron du chantier d'Antibes qui m'annonce que demain il recevra la piece du pilote et qu'il m'envoyait deux cartouches pour reparer ma voie d'eau le tout par DHL.Je pense que je recevrai le colis en fin de semaine et pourrai reprendre la mer la semaine prochaine.Je ne serai pas là pour t'accueillir fin Mai,mais ton bateau t'attend peinard bien sagement il se repose,je passe regulierement devant,tout va bien.Je vai voir Maurice qui rentre en France demain et revient en Mai je crois.Je parle aussi à Pierre Henry la ,goelette en face du tien,un gars trés sympa qui te connait.Ne t'inquiete pas tout va bien pour ton bateau.Amitiés jose”

La semaine dernière, je lui envoie un mail pour lui demander où il est mais je ne reçois pas de réponse. Lorsque j’arrive sur mon bateau, je frappe sur la coque du bateau de Pierre Henry pour le saluer et celui-ci m’apprends que lorsque José a remis son bateau à l’eau, le problème persistait, il a dû le ressortir. La semaine dernière, en arrivant pour l’aider, il a trouvé José au petit matin baignant dans son sang au fond de son bateau, la tête fracassé à coup de manivelle de winch. Il est mort durant son transfert à l’hôpital. Que s’est-il passé ? José ne sortait jamais. Certainement des voleurs qui n’hésitent pas à tuer quand cela tourne mal.

Au delà de l’immense tristesse, je ne suis pas très étonné, il règne dans ces îles un véritable climat d’insécurité. Il y a mon propre ressenti, à Praia surtout, mais également cet après midi. Nous sommes passés à la tirette, Francine avait le sac à dos. A peine revenu au bateau, les employés de la marina me rapportent mon portefeuille qu’ils ont trouvé dans la rue à l’extérieur de la porte d’entrée. Tout y est sauf l’argent. Ils ont subtilisé le portefeuille dans notre dos en ouvrant le sac à dos !

Mon frère s’est fait dévaliser son bateau, mon copain Olivier également. Il faudrait que la police réagisse, nous sommes maintenant beaucoup plus loin que de simples larcins. En tout cas, je déconseille vivement aux plaisanciers de passer par ici. On évite le golfe d’Aden, ce n’est pas pour se faire démolir ici.

Adieu l’ami, je suis triste ce soir.

Jean Louis
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