Journal de bord de l'Harmattan
Tue, 07 Dec 2010 19:00:00 - Osny
N° 254 - Emotions extraordinaires pour une vie pas ordinaire



19 heures Ă  Cormeilles en Vexin (France)

Bonjour Ă  tous,

Enormes, monstrueux, incroyables, je n’ai pas d’adjectifs pour qualifier les sentiments vécus lors de cette soirée et cette nuit de folie. Je vais vous planter le décor :

On est dimanche soir, je me rends à une soirée de marins organisée par Pierre-Yves, mon ami, néphrologue à Quimper et chef de bord à la fameuse école des Glénans. La soirée a un but, fêter dignement mon escale de Singapour et pour cela un concours d’Irish Coffee a été organisé.

Je suis sur le périphérique Parisien, près de la porte de Bercy, énervé car englué dans les embouteillages. Il est 19 heures 30 et je suis en retard. Le téléphone sonne, c’est Christian Verger mon néphrologue qui me dit qu’il a une nouvelle à m’annoncer et que celle-ci va me perturber énormément. Il m’annonce alors que l’équipe de greffe de l’hôpital de Caen a un greffon pour moi, que c’est un rein âgé de plus de 70 ans mais qu’il est « full » compatible. J’ai entre une et deux heures pour prendre ma décision. Je suis sonné, dans le même état que le boxeur qui vient de se prendre un uppercut. Que dois-je faire dans l’immédiat, rentrer chez moi ou bien aller à cette soirée ? Nous ne sommes plus très loin, quelques centaines de mètres et j’aimerai bien parler avec Pierre-Yves. Gertrude (c’est la fille qui parle dans mon GPS) essaye de me guider mais je suis perdu, elle me dit d’aller à droite et je tourne à gauche … Mon cerveau fonctionne à 300 à l’heure, quelle décision compliquée.

Nous arrivons enfin au « Dis Vin Gaulois », c’est un restaurant, bar à vin, situé rue Dutot. Nous sommes une petite dizaine, je ne connais que Pierre-Yves. Celui-ci vient juste de recevoir un SMS de Christian Verger, et c’est en disant bonjour à tous ces gens que je ne connais pas que je leur annonce ce qui vient de me tomber dessus. Ils se demandent vraiment qui c’est cet extraterrestre qui débarque. Pierre-Yves explique la situation.

Moi j’ai l’impression d’être comme ces toupies folles, vous savez, ces toupies qu’on lance avec une ficelle. Elles partent en tournant sur elles même à une vitesse incroyable en décrivant une trajectoire au sol et lorsqu’elles rencontrent un obstacle, elles sont éjectées violemment dans une autre direction en continuant à tourner sur elles même toujours aussi vite.

Je viens de taper dans une plainte et de partir dans une direction totalement opposée. La situation me semble irréelle mais très vite au fond de moi je sais que je vais accepter. C’est incroyable tout ce qui passe dans la tête. Pour situer les choses, si je refuse, tout continue comme avant, j’ai déjà pris mes billets d’avion, je pourrais manger demain soir mon reste de blanquette … Incroyable les futilités auxquelles on peut penser. Si j’accepte, je dois partir immédiatement pour Caen, subir l’opération, passer 15 jours sur place dont 8 jours en chambre stérile, puis pendant 6 mois je ne pourrais pas retourner à mon bateau.

Je sais que la greffe est le top lorsque l’on est dialysé mais je vie tellement bien avec ma dialyse péritonéale que je n’attends pas après cette greffe. Christian Verger m’à dit que j’avais 60% de chances d’avoir toujours ce rein dans dix ans.

Au Dis Vin Gaulois, chacun comprends bien toute l’intensité émotionnelle du moment, Cyril le patron, me propose de boire un verre. Mes amis Camarguais Richard et Montsé m’ont racontés cette expérience. Ils étaient en train de faire un barbecue avec un copain à eux dialysé, lorsque celui-ci a été appelé pour une greffe, il a refusé. Cela me choquait et je me disais « comment peut-on refuser d’être greffé ? ». Maintenant je comprends, la décision est très difficile à prendre, c’est un bouleversement de vie et même si on y a réfléchi avant, on est secoué très fort par cette annonce.

Pierre-Yves m’aide en me disant qu’en 20 ans de carrière il n’a vu que trois fois un « full » compatible et que c’est une chance incroyable.
Il ne s’est pas passé trois quarts d’heure depuis l’appel du docteur Verger que je le rappel pour lui donner mon accord. Nous décidons que je dois être à 8 heures le lendemain matin à l’hôpital de Caen qui se trouve à 2 heures et demi de mon domicile. Le rein doit être prélevé puis analysé, c'est-à-dire qu’une biopsie doit être pratiquée pour voir son état. Je demande au docteur Verger de me faire prévenir quelque soit le résultat de la biopsie et quelque soit l’heure. Nous devrions avoir le résultat vers minuit.

J’appel alors mes enfants, mon copain Jacky et mes amis Richard et Montsé. Puis je décide de rester faire la fête en attendant les résultats. Il me faut une heure pour rentrer à mon domicile, une heure pour me préparer et deux heures et demi de route. Un rapide rétro planning, je ne dois partir du Dis Vin Gaulois après trois heures du matin.

Nous faisons donc la fête, tout le monde est très excité. Cyril, le patron, bouteille d’or du meilleur bistrot à vin est également un as de la cuisine traditionnelle. Pour commencer il nous a préparé une tranche de foie gras chaud sur une tartine grillée. Tout simplement divin. Puis un sorbet bourguignon avant une pièce du boucher succulente accompagnée de ravioles au conté. Un vrai régal, la viande fonds réellement dans la bouche. Le tout est accompagné de vins correspondant à chaque plat choisis par le maître des lieux.

C’est minuit passé, tout le monde regarde sa montre régulièrement. Moi je suis cool, excité mais cool car je n’attends pas ce rein comme le messie, et puis je vais passer une période difficile, je veux profiter à fond de cette soirée sympathique.

Un peu avant une heure du matin mon téléphone sonne. Je me lève et vais un peu plus loin. C’est le néphrologue de l’hôpital de Caen. Il m’annonce que la biopsie n’est pas bonne et que le chirurgien ne veut pas m’implanter ce rein. Ma toupie vient de heurter un autre obstacle et de repartir comme une folle dans une autre direction. Que d’émotions dans une seule soirée. Je ne suis absolument pas déçu, c’est comme cela et c’est tout, c’est ma vie quoi.

Incroyable cette nuit de folie, je n’ai jamais vécu d’émotions aussi intenses, et cela fait des années que je n’ai pas fait une fête pareil. Je suis en pleine forme, je n’ai absolument pas sommeil et je m’amuse comme un fou. Et puis je n’ai plus de contrainte, je ressens une très grande liberté.

C’est maintenant le moment du concours d’Irish Coffee. C’est très sérieux, le concours est entre le Maître Cyril et l’élève Pierre-Yves. Cyril œuvre au bar et Pierre-Yves en cuisine. Chacun a sa technique, ses secrets mais il n’y a pas de temps imposé. Chacun doit réaliser trois verres. Puis le jugement se fait sur plusieurs critères, l’aspect et la séparation des trois couches, whisky, café et crème. Au final, tout le monde goûte chaque verre à l’aide d’une paille. Chaque verre est numéroté et on doit les classer dans l’ordre de préférence.

C’est Pierre-Yves qui remporte la première manche à l’unanimité générale. Bien entendu, Cyril l’accuse d’avoir triché et d’avoir mis trop de Whisky. Il faut absolument faire une deuxième manche en vérifiant la quantité de Whisky.

Le choix est alors beaucoup plus difficile, les avis sont partagés mais Pierre-Yves finit par l’emporter d’une courte tête. L’élève a dépassé le maître !

Avant de partir Cyril disparaît sous le comptoir et reviens de la cave avec une bouteille d’eau de vie de prune incroyable et nous finissons la soirée sur ce petit alcool.

Finalement j’arrive chez moi à quatre heures du matin. Quelle soirée de folie !!!
Tout cela m’a fait prendre conscience du dévouement incroyable de toute la chaîne humaine qui permet de réaliser des greffes. Chapeau !

A bientĂ´t

Jean Louis


"Et oui, les réactions à l'annonce d'un greffon disponible sont totalement différentes d'une personne à une autre.
Mon collègue, il y a une dizaine d'années de celà, qui était dyalisé, est arrivé un matin au travail tout excité et heureux : il partait se faire greffer un rein !!!!!
Quelques temps après, il est revenu au travail, tout aussi excité, la greffe avait bien pris et il n'était plus tenu par ses dyalises... il se sentait revivre.
C'est super qu'ils t'aient proposé une greffe, dommage que le rein n'ait pas eu les qualités requises... ce sera pour la prochaine fois !!
Bisous et porte toi bien
Marie"


Envoyé par clemendot Marie le 08-12-2010 à 20:28



"à filer la métaphore marine....
tu as traversé cette soirée comme un marin choisi sa route à l'estime, corrigeant le cap, faisant valoir la route, soucieux de sa coque et de l'équipage, un bel exemple de navigation... patrick "


Envoyé par berthier patrick le 09-12-2010 à 06:13



"awsome in english
genial top grave
ça dechire en marseillais
quelle belle histoire tout simplement "


Envoyé par tangaroa le 09-12-2010 à 21:44

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